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La
filiation de la Famille ne peut être établie en ligne continue qu'à partir de
l'extrême fin du XIIe siècle. Avant cette époque, on connaît des
personnages, mais isolés les uns des autres. En réalité, les registres
paroissiaux n'existaient pas encore. Il n'y a pas d'état civil, et les parents
ne se souciaient guère d'inscrire à titre privé la naissance de leurs enfants,
d'autant plus que seuls quelques-uns feront souche. Et ceci même lorsqu'il
s'agit de familles royales (Le Goff, p. 32).
Ne
nous étonnons donc pas de ne pouvoir éclaircir davantage le brouillard dans
lequel plongent les racines de la Famille à travers le haut Moyen Age. Comme le
dit Scipione Ammirato dans son livre sur les « Famiglie Nobili
Napolitane » en 1651 : « Afin de procéder dès ces temps
anciens (XIe-XIIIe siècle) avec la clarté la plus grande possible, il sera
nécessaire que nous citions les noms de chacun de ces Ruffo qui
apparaissent dès cette époque, parce que contrairement à ce qui arrive dans
d'autres familles où apparaît un ancêtre dont descendent tous les autres, chez
les Ruffo nous trouvons de nombreux noms à des moments ou des endroits
distincts, sans savoir parmi ceux-ci qui en serait l'ancêtre initial ».
(Traduction : Diego Ruffo de
Bonneval)
Jusqu'à
présent nous avons abordé le problème par un autre biais : en recherchant dans
les détails de l'histoire ce qui peut aider à constituer une trame fiable
servant de soutien à ce que nous savons, ou croyons savoir, au sujet de ces
lointains aïeux. Les auteurs ne manquent pas pour nous décrire comment l'on
vivait en ces temps-là. De plus, une certaine "logique historique"
permet de
suppléer
aux incertitudes des « on-dit » familiaux qui parfois se
contredisent. Sans pour autant vouloir l’affirmer avec certitude, nous avons
donc découvert quelques pistes de recherche. Les archives de la Famille n'ont
pas encore livré tous leurs secrets.
Mais
voici que soudain la situation devient aussi claire que possible. Un très grand
souverain, Frédéric II, Empereur d'Allemagne et Roi de Sicile, est entouré
de plusieurs Ruffo comme collaborateurs et intimes.
Au
XIIIe siècle, la Famille Ruffo est appelée la "Magna Domus".
Plus qu'une Famille, elle est désormais déjà reconnue comme une
"Maison". Il n'y a pas de génération spontanée. S'il y a eu un âge
d'or de la Famille, c'est bien parce qu'elle était déjà puissante auparavant,
qu'elle avait déjà de grands biens fonciers en Calabre, qu'elle était déjà
influente à la cour des rois normands, et qu'il existait parmi certains de ses
membres un véritable courant humaniste. Ce n'est pas pour rien que l'on a la
culture byzantine dans le sang.
Constance
fit couronner son fils à l'âge de deux ans. Elle meurt en le confiant à la
tutelle du Pape Innocent III. Celui-ci s'empresse de faire passer le
sceptre de Germanie à Othon de Brunswick, et néglige tout à fait l'éducation de
l'enfant.
L'instruction
de Frédéric se fait surtout dans les rues de Palerme. Avide de connaissance,
l'enfant sort précocement mûri par l'épreuve. À quatorze ans, il épouse
Constance d'Aragon qui en a vingt-quatre. C'est elle qui achève l'éducation de
son mari : un heureux mariage.
Frédéric
connaît une existence hors norme, jalonnée de faits prodigieux. Homme raffiné,
fastueux, cultivé, il parle plusieurs langues dont l'arabe. Il rêve de
reconstituer l'Empire Romain dans toute sa puissance. Sa culture est
encyclopédique. Il est poète, s'intéresse aux mathématiques, à la médecine, à
l'astronomie. Il est un des plus grands souverains de tout le Moyen Age, en
avance de plusieurs siècles sur son temps.
Naissance de Frédéric II
en public sous une tente >
Les
aléas de la politique lui font retrouver le trône d'Allemagne. Il est couronné
à Aix-la-Chapelle en 1215. Excommunié, il part pour la sixième croisade en
1228, prend Chypre, et poursuit des négociations fructueuses avec Saladin, le
sultan d'Egypte, obtenant par la diplomatie ce que d'autres n'ont pu avoir par
les armes. En 1235, il retourne à Mayence pour y épouser Isabelle de
Plantagenet sœur du Roi d'Angleterre Henri III, y emprisonner son fils
Henri coupable de trahison, et convoquer une assemblée générale des princes
allemands, où leurs privilèges sont confirmés.
Tout
ceci dans un extraordinaire déploiement de luxe et de festivités. Ses
collaborateurs intimes l'accompagnent, et Pietro I Ruffo est de la
partie, une lettre patente envoyée à son fils Ruggerio qui serait le
père de Pietro II. Ce document est signé de Mayence. Or à cette
date Frederic II est occupé à mater la révolte des Lombards à Milan et n’arrive
à Mayence qu’en été. Il s’agit donc d’un faux dû probablement au zèle intéressé
d’un scribe, c’est pourquoi nous ne le transcrivons pas. On peut le trouver
chez Montgrand. Mugnos cite Pietro I comme ayant réprimé à Milan la révolte des Lombards. A la suite de celle-ci Valerio Ruffo est nommé Vicaire ou
Podestat de Milan. Ce dut être passionnant pour Pietro, Fulco, Giordano,...
de vivre si proches de l'Empereur Frédéric, lequel appréciant leurs qualités et
leurs compétences, les estimait et leur confiait des charges importantes tant
militaires qu’administratives.
Le jeune Frédéric II, Roi de Sicile
>
Litta
commence sa généalogie en citant Serio ou Sigerio avec toutes les
caractéristiques de Pietro I. Un personnage aussi important tel qu’il le
décrit, qui a une descendance, et dont le prénom n’est repris que par un
troisième fils de Petro II, puis disparaît, ceci est contraire à toutes
règles dynastiques de l’époque. C’est pourquoi nous ne citons Serio que pour
mémoire en attendant qu’on puisse en dire plus.
Pietro I
Ruffo de Calabria, dont le père se nommait Giordano lequel est né avant 1180. Muratori
auteur d’annales écrit que Pietro I né à Tropéa, de fortune pauvre
arrive par habileté au premier rang de la cour de l’empereur Frédéric II.
Il
fait aux côtés de Frédéric II une carrière administrative, politique et
militaire brillante, parvenant en 1244 au faîte de la hiérarchie en tant que Imperialis
marescaliae Magister (Grand maréchal de l'Empire). Cette charge le fait
entrer dans le noyau restreint des plus hauts dirigeants de l'administration
centrale du royaume.
Il
assume également les hautes responsabilités de Vice-roi en Sicile et en
Calabre, et accompagne le souverain dont il est, d'après les chroniques de
l'époque : « consiliorum suorum intimus factus est ». Pietro est tuteur du prince Enrico,
révolté
contre son père, et devait être présent à mayence lors de la terrible scène qui
opposa l’empereur et le jeune prince. Condamné, celui-ci fut transféré de geôle
en geôle et en 1242, désespéré, il se jeta avec son cheval dans un profond
ravin de Calabre.
Pietro I recevra du Roi Conrad IV le titre de Comte de
Catanzaro, en 1252. En outre, il est seigneur d'une grande partie de la Calabre
Citérieure. De son épouse prénommée Guida dont on ne connaît pas le nom de
famille, il n'eut pas d'enfants.
Pietro I Ruffo de Calabre, Ier Comte de
Catanzaro
Médaille à l’initiative de Giovanni Ruffo - 1995 >
Il
est fait mention de Pietro I en 1239 dans une longue liste de
barons chargés par Frédéric II de la garde de prisonniers Lombards. Il y
est désigné sous le nom de Pietro di Calabria. L'évêque Simon de
Léontine écrira en 1285 dans son Histoire de la Sicile : « De cette
famille descendait Pietro Ruffo Vice-roi de Sicile et de Calabre qui à
cause de sa puissance, de sa prudence, de sa valeur et de sa grandeur d'âme,
fut appelé par le peuple le Prince glorieux ».
Pietro I signe ses actes avec la formule « de regia gratia
comes Catanzaris ». C'est de cette époque que date la qualification de
« Magna Domus » ou « La Grande Maison » pour
désigner la Famille Ruffo dont le nom exact est désormais « Ruffo
di Calabria ». Voici un fac-similé de la signature que Pietro I apposa sur
un
document d’archives, après l’an 1252.
Retranscription
: « Nos Petrus Ruffo de Calabria de..regia gracia Comes
Catanzarii regni Sicilie Marescalcus » Traduction : « Nous Pietro
Ruffo de Calabre, par la grâce Royale Comte de Catanzaro, Maréchal du
royaume de Sicile ».
Il
est intéressant d'analyser cette signature dont le graphisme fait penser aux
caractères helléniques. Elle est élégante et tracée d'une main sûre. Pour
arriver à une telle maîtrise de l'écriture sur parchemin et à la plume d'oie,
il faut des années d'exercice. On peut penser que Pietro Ruffo, comme
tant de fils de seigneurs, fit de 7 à 14 ans, de sérieuses études dans une
école abbatiale, peut-être celle du Mont Cassin, si réputée à l'époque.
Ensuite, il devient valet impérial, débutant ainsi sa belle carrière.
Ernest
Kantorowicz dans son magistral travail sur Frédéric II nous dit: « Une
partie de ces valets impériaux entraient au service de l'Etat comme
fonctionnaires. Ceci put être une incitation à servir comme page à la cour
impériale. Les familles nobles d'Apulie et de Sicile s'y trouvèrent donc
représentées à peu près au complet. Deux seigneurs d'Aquin, plusieurs Morra, un
Caracciolo, un comte de Caserte, un Filangieri, un Aquaviva, sans compter des
fils de commandants de forteresses impériales, des barons féodaux sans emploi
et beaucoup d'autres servirent à la cour comme valets ».
Revenons
à Frédéric II. C'est un poète, alors que Dante n'est pas encore né.
L'Empereur par sa prodigieuse énergie d'Homme transformateur des choses va assurer les bases d'une des plus belles langues du monde: l'italien. Il
convie à sa cour tout ce qu'il peut trouver de rimeurs de talent, en Sicile
bien sûr, en Calabre et dans les Pouilles. Ces 'Canzonieri' se nomment Jacques
de Morra, Fulco I Ruffo, Renaud d'Aquin, etc...
Ils
sont seigneurs ou fils de seigneurs, et composent pour la première fois en
langue sicilienne, à l'école de la Grande Cour impériale instituée par
Frédéric II. Par la création du « creuset sicilien » où se sont
fondus les trois courants poétiques de l'époque : allemand, provençal et
sicilien, il n'est pas exagéré de dire que Frédéric a donné un chant nouveau au
monde : courtois, lyrique et
chevaleresque.
Fulco I
Ruffo, mort en 1266, seigneur de Santa Christina,
Bovalino, Sinopoli etc, est un de ces poètes de talent. Les chroniqueurs
littéraires le citent comme étant « le
versificateur de l'école poétique sicilienne ».
Comme
nous le verrons plus loin, les Ruffo de Bonneval descendent également
d'un autre grand poète qui vécut au XIIIe siècle mais en Provence:
Bertrand d'Allamanon.
Cet
aspect de la personnalité de Fulco I ne doit pas masquer son
activité principale, qui était de nature politique et militaire. Il aura
d'abord été valet impérial (ou page) à la Cour, de même que son frère aîné Giordano I.
Plus tard, il devient même un des proches de l'Empereur. Fulco I le
suit dans ses déplacements, et il est présent à la mort de Frédéric II où,
avec son oncle Pietro I, il signe le testament impérial. Il épouse
une riche héritière, Margherita de Pavia. Ils sont les ancêtres directs
de tous les Ruffo des temps modernes.
Benoist-Méchin a magistralement décrit
le destin de l'Empereur qui est défini comme « le premier homme moderne à
être monté sur un trône ». Citons ce passage intéressant concernant Giordano II
Ruffo, également neveu de Pietro I et frère ainé de Fulco I. « L'Empereur, curieux de
tout, avait rédigé lui-même un traité sur la Fauconnerie. Il possédait à Foggia
une
ménagerie : tigres, léopards etc,...
afin d'en observer les mœurs et les modes de reproduction. A cette ménagerie
était attaché un noble calabrais du nom de Giordano Ruffo que Frédéric
avait
investi des fonctions de Maître des Ecuries impériales ». Giordano II Ruffo a publié un traité sur
la race chevaline appelé « Hyppiatria » (Bibliotheca Calabre, p. 47),
véritable somme de tout ce que l'on peut savoir sur l'élevage et les soins à
donner aux chevaux.
Dans l'introduction de
cet ouvrage en latin qui ne comprend pas moins de six volumes que consultent
encore les vétérinaires d'aujourd'hui, l'auteur déclare qu'il « tire
toutes ses connaissances de l'Empereur lui-même, car
il est dans ce domaine aussi, d'une compétence inégalée ».
Cette affirmation a son poids, même en y faisant la part de la flatterie. Qu'il
y ait eu entre eux émulation et collaboration n'est pas à mettre en doute. Bien
avant les Normands, Salerne était le siège d'une célèbre école de médecine.
D'autres sciences y étaient également enseignées. On peut penser que Giordano II y fit de sérieuses études universitaires. Plus tard, familier de la Cour de
Palerme, il sera en contact étroit avec les savants arabes et leurs écrits. Cet
entourage exceptionnel lui permit de développer de grandes qualités
scientifiques. Son ouvrage, considéré longtemps comme la référence, parut après
1250, en latin.
Ce
même Giordano II, « originaire de Cosenza » comme le
dit un ouvrage du XVIe sur les hommes célèbres de Calabre, gouvernait toute la
région de la vallée du Crati. Nous le verrons plus tard beaucoup souffrir sous
le règne de Manfred, un fils naturel de Frédéric II. C'est un scientifique
dont on ne peut oublier qu'il assume aussi de grandes responsabilités
politiques et militaires. Il est le père de Pietro II, lui aussi
homme d'état très puissant et influent, que l'on a souvent confondu avec son
grand-oncle Pietro I (Pontieri). Nous ne savons presque rien
des parents de Fulco I et Giordano II. Leur père fut Giovanni (né à Tropea?). Il était lui-même un frère de Pietro I, et il est
probable que leur père se prénommait Giordano I (né vers 1180), car
alors l'usage dans les grands lignages était que l'aîné des petits-fils porte
le prénom de son grand-père. Ce Giordano
Ruffo de Calabria est à notre connaissance l’ancêtre le plus ancien auquel
on puisse remonter en ligne directe (fin XIIe siècle).
Il
paraît intéressant de souligner combien dès le début du XIIIe siècle
cette famille était un lieu privilégié d'éclosion intellectuelle, scientifique
et littéraire. Un homme d'Etat de premier plan, politique et militaire, Pietro I;
un poète de talent, Fulco I, et un homme de sciences de grande
classe, Giordano II, tous proches de Frédéric II, qui
choisissait avec soin ses collaborateurs. On peut en déduire qu'il y avait dans
cette Famille de solides racines humanistes. A cette époque, une telle éclosion
ne s'improvise pas. Cela se prépare au long des générations par le respect et
l'amour de la culture et aussi par un environnement politique favorable: la
Paix normande.
G.
Ritonio mentionne dans sa généalogie des Ruffo : Sigério ou Serio qui est confondu avec Pietro I ;
ensuite Guglielmo Ruffo et son fils Valerio, Vicaire de Milan après la
révolte des Lombards en 1235 ; Ricardo
Ruffo, comte de Molise (puissant seigneur).
< Tombeau de Frédéric
II à Palerme
Revenons
encore à Frédéric II. Au moment où tout semblait lui préparer un triomphe, en
1250, une brusque crise de dysenterie le terrasse à 56 ans lors d'une chasse
dans les Pouilles. Sentant la mort venir, il appelle autour de lui certains
membres de son entourage, présents au château de Fiorentino. Parmi eux,
l'archevêque de Palerme; son fils bâtard Manfred; des dignitaires dont le Grand
Maréchal Pietro I et son neveu Fulco I Chevalier et
poète; le médecin de Frédéric II et un groupe de notaires. Il leur dicte
ses dernières volontés, prenant toutes les dispositions concernant sa
succession, régularisant son union avec Bianca Lancia, ce qui légitimise son
fils Manfred, etc. Ce testament est signé par les témoins que nous avons cités.
Pietro
Giannone dans son « Histoire du Royaume de Naples » et Huillard
Bréholles dans son « Histoire de la diplomatie sous
Frédéric II » reproduisent intégralement ce document dont par malheur
l'original a disparu.
Ensuite
Frédéric se tût, ayant trouvé la paix, puis il demanda d'être revêtu de la bure
blanche des Cisterciens. L'archevêque lui donna l'absolution, et psalmodia
l'antienne « In paradiso ». L'émotion devait être à son comble.
Pietro I et Fulco I accompagnèrent la dépouille de leur
souverain dans son lent et solennel retour à Palerme. Il fut inhumé à côté de
ses parents et de Roger II dans ce monumental sarcophage de porphyre que
l'on peut encore toujours admirer dans la cathédrale. Les Ruffo dans
leur douleur, ne se doutaient certainement pas que l'âge d'or de la Sicile
avait vécu, et ne s'imaginaient pas non plus quels drames ils auraient
eux-mêmes à affronter dans l'avenir.
Ce
fils de Frédéric II avait quitté la Sicile à l'âge de neuf ans pour être
élevé en Allemagne. Il n'est guère adapté au caractère sicilien, et, en
Allemagne, il lui faut lutter contre des ambitions rivales. Pietro I a
sa confiance, et en tant que Vice-Roi, il assume le gouvernement de la Sicile
et de la Calabre où il peut compter sur de solides liens de parenté. En 1252, Pietro I est inféodé du Comté de Catanzaro conquis sur les sarrasins par ses
ancêtres au Xe siècle et confisqué par les normands en 1059. Hélas, après
quatre ans de règne, le jeune souverain âgé de vingt-six ans meurt d'une crise
de dysenterie. Il laisse un fils de deux ans, Conradin.
Frère
Simon de Léontine, évêque de Syracuse, nous dit de Pietro I : « Et a rege Corrado Suevo estimatissimus fuit ». ("Et
Il fut très estimé par le roi Conrad de Souabe"). Il fit battre une
nouvelle monnaie sous le sceau du Roi , ce qui comme l'affirme une chronique de
l'époque, fut une cause de révolte en Sicile où la population était davantage
pour le Prince Manfred.
Manfred ou Mainfroi (1254-1265)
La
mort de Conrad consterne les Ruffo. Manfred, fils naturel de
Frédéric II, prend la régence et le pouvoir, et il éloigne son neveu
Conradin au monastère de Saint-Gall. L'usurpateur va diriger le pays pendant
plusieurs années avec le soutien des barons siciliens et l'appui inconditionnel
des troupes arabes.
Pietro I veille sur les intérêts de Conradin. Il est donc une menace
constante pour Manfred. Celui-ci parvient à soulever les habitants de Messine contre Pietro I. Ce dernier est alors
contraint de quitter la Sicile pour se réfugier dans ses états de Calabre
(1254). D'importantes forces armées envoyées par Manfred l'obligent ensuite à
se replier sur Naples, puis à la Cour pontificale. Il obtient l'aide du Pape
Alexandre VI: une flotte de douze galères pour reconquérir ses états de Calabre
et relever le prestige de l'Église. Après avoir remporté quelques victoires, le
sort des armes lui est contraire et il doit s'exiler à Naples avec tous les
siens. Une sentence du parlement de Barletta, convoqué par Manfred en 1256, le
dépouille de ses fonctions et de tous ses biens. Pietro I meurt
tragiquement à Terracina en janvier 1257, assassiné par un sicaire de Manfred
appelé Giovanni di Moliterno.
Giordano II et Fulco I, dont il a été question plus haut, se battent également
contre les partisans de Manfred. Ainsi Giordano, lieutenant de son
oncle, prend d'assaut le château de Nicastro (1253). Plus tard il est capturé
par les troupes de Manfred. Mutilé il meurt en 1254.
De
son côté, Fulco I supporte un siège de deux ans en son château de
Bovalino, avec peu d'espoir d'être secouru. Après une reddition honorable en
1256, il rejoint son oncle Pietro I en son exil auprès du Pape. Par
la suite, il se joint à l'armée angevine de Charles I d'Anjou, et
contribue à la défaite de Manfred à Bénévent en 1266.
Sans
doute Fulco I fut-il tué à cette bataille, car 1266 est l'année de
sa mort. Son fils Fulco II est un « jeune de valeur, de grande
intelligence, mais d'esprit sombre et rusé », comme le rapporte le Duc
della Mara. Sous le règne de Charles d'Anjou, suivant l'usage de l'adoubement
nouvellement introduit par le roi, Fulco II ainsi que son frère Enrico I et leur cousin Giovanni de Badolato, frère de Pietro II,
sont armés chevaliers en 1272 par le Prince Charles Duc de Calabre, fils aîné
du souverain. Plus tard, pour des terres dans le comté de Squillace, Fulco II en vient à se disputer et à provoquer en duel Simon de Montfort, frère du Comte
de Squillace et cousin du roi. Celui-ci est accompagné d'un chevalier français.
A deux contre un, le combat se termine par la mort de tous les adversaires.
Nous sommes en 1276. Fulco II n'eut pas d'enfant légitime, aussi
tous ses biens passèrent-ils à son frère Enrico I, ancêtre des Ruffo du XXIe siècle.
Manfred
pourtant excommunié depuis trois ans, après avoir faussement annoncé la mort de
son neveu Conradin, se fait couronner Roi de Sicile dans la cathédrale de
Palerme. Indigné, le Pape Urbain IV décide d'investir du Royaume de Sicile
un prince entreprenant et ambitieux qui pourrait conquérir son fief les armes à
la main tout en respectant les droits de la papauté: Charles Ier d'Anjou
Remarque
: notre plus précieuse source de renseignements au sujet de la période angevine
qui suit, est le tome II de l'Histoire de la Provence publiée en 1784. Son
auteur, l'Abbé Papon, fit un sérieux travail d'historien, en se documentant sur
place pendant des années, aussi bien aux archives de la Zecca à Naples qu'en
Provence-même.
Le
Pape choisit un frère de St Louis, Roi de France. Charles, héros de la croisade
est Comte de Provence, depuis son mariage avec la fille de Raymond Bérenger.
Pietro II
Ruffo de Calabre, petit-neveu de Pietro Ier,
sous la direction de son oncle Folco Ier, accompagne le légat du
Pape en Provence où il encourage Charles d'Anjou à accepter la couronne de
Naples. Embarqué à Marseille en 1265, Charles I arrive à Rome où il reçoit
du Pape l'investiture du royaume à conquérir. Un corps de soldats angevins se
joint à des troupes italiennes qui se dirigent vers le Sud. Le choc a lieu près
de Bénévent.
Bernardo
Ruffo dit « de Sicile » se trouve parmi
les seigneurs partisans de Manfred. Il y a donc des Ruffo dans les deux
camps. (Papon, p. 22). L'armée de Manfred est taillée en pièce; lui-même y trouve
la mort. Bernardo sans doute aussi avec lequel s'éteint
vraisemblablement cette branche dite des Ruffo « de Sicile »
qui semble être née avec Giordano et Gervasio, 150 ans
auparavant. Une semaine après la bataille, la bannière d'Anjou flotte sur
Messine. Pietro II, devenant un des "bras droits" du roi,
va récupérer ses charges et ses états auxquels viennent s'en ajouter d'autres.
C'est
alors que les fidèles de Manfred se souviennent de Conradin qui vit peut-être
encore. Plutôt lui qu'un prince français! Conradin est devenu un splendide
adolescent de seize ans. À la tête d'une armée de plusieurs milliers de
chevaliers allemands, il entre en Lombardie. Charles I, capitaine
expérimenté, cerne et détruit la cavalerie allemande dans les Abruzzes.
Prisonniers, Conradin et son ami Frédéric d'Autriche sont décapités sur la
place du marché à Naples. La descendance de Frédéric II avait vécu. Ce
meurtre entraîna dans l'esprit de ces populations du Sud une haine profonde
vis-à-vis des français, cause première de l'échec de la dynastie d'Anjou en
Sicile.
< La puissante forteresse de Le
Castella (aux Ruffo de
Charles I
recourait souvent aux conseils de Pietro II dans les affaires
d'état. Il le nomme Capitaine général de la Calabre en 1285, et le fait
participer à son expédition contre Byzance. Cependant le pouvoir autoritaire et
maladroit du Roi, ainsi que l'arrogance de ses compatriotes dressent contre eux
toute la Sicile.
Le
massacre des français de l'île, en cette fête de Pâques de l'an 1282, porte le
nom de « Vêpres Siciliennes ». Un baron de Porcellet, vice-roi des
Abruzzes, époux de Marguerite Ruffo surnommé « le bon baron » est
épargné parce qu’il fut enfermé à l’abri par des siciliens afin d’échapper à la
tuerie.
Lorsque
Charles I apprend cet événement qui a coûté la vie à huit mille français,
il envoie quarante galères et mille soldats sous les ordres du comte Hugues de
Brienne et du comte Pietro II de Catanzaro, pour assiéger Messine
révoltée (Papon p.72). Le Roi suivait peu après avec le reste de la flotte,
cinq mille chevaux et une nombreuse infanterie.
Les
Messinois effrayés offrent de se rendre, à condition d'avoir un gouverneur
italien et non plus français, et de ne payer qu'un tribut modéré. Mais
Charles I refuse de composer avec des sujets aussi rebelles. Alors les
Messinois se défendent avec la force du désespoir, et Don Pedro, Roi d'Aragon,
a le temps de venir à leur secours. Il coule vingt-neuf galères françaises,
tandis que Charles se réfugie à Reggio en terre calabraise.
Le
rusé Don Pedro, qui a épousé la fille de Manfred, est acclamé roi par les
Siciliens. Mais comme il craint de ne pouvoir se maintenir en Sicile, il
propose alors à Charles I de régler leur différend en combat singulier :
cent chevaliers, contre cent de l'autre armée, les deux rois à leur tête, et
ceci en pays neutre : à Bordeaux...! C'est un défit ridicule, mais Charles
tombe dans le piège. Il part pour Bordeaux où son adversaire ne se présente
pas! L'élan des troupes est cassé, la partie perdue. Charles Ier, pour
remplir un engagement imprudemment contracté, a perdu l'occasion de reconquérir
la Sicile. S'il était un brillant et courageux chevalier, c'était à la façon
d'un aventurier. Il n'avait pas de flair politique, et de plus il ne sut pas se
faire aimer de ses sujets.
Charles Ier fit des efforts désespérés pour reprendre la Sicile à Don Pedro. Mais l'escadre
de Don Pedro attire celle d'Anjou dans un traquenard. Le prince héritier est
fait prisonnier et transféré en Espagne pour plusieurs années.
Charles I
meurt de colère et de chagrin à Foggia en août 1285, et cette même année, le
Roi d'Aragon le suit dans la tombe. Jamais les Princes d'Anjou ne reprendront
Palerme et ses merveilles. La Sicile devenue province lointaine du Royaume
d'Aragon, va hélas par incurie perdre peu à peu la prospérité qu'elle avait si
bien acquise du temps des Normands.
Le
successeur de Don Pedro, Frédéric III d'Aragon, envahit la Calabre en 1297
et s'empare des états de Pietro II, parmi lesquels il faut
comprendre Crotone, dont il avait renforcé les remparts du château. Notons ici
que depuis Pietro I la forteresse de Le Castella faisait partie de
ce fief. Plus tard ces châteaux lui seront restitués lors de la paix conclue
entre Frédéric d'Aragon-Sicile et Charles II d'Anjou-Naples. Paix scellée
par le mariage de la Princesse Léonora d'Anjou et de Frédéric d'Aragon en 1302. Pietro II eut l'honneur d'accompagner la jeune épouse à Palerme, où
à la grande joie de la population se déroulèrent des fêtes fastueuses.
Cette
gravure représente Pietro II en 1302, date très importante,
puisqu’elle est celle de la réconciliation entre les maisons d'Aragon et
d'Anjou. On peut reconnaître les armes de son épouse de la Maison d'Aquin (en
haut à droite) en dessous sont celles de ses parents, sa mère serait donc aussi
née Ruffo. Il ne fut jamais Vice-roi (Pro-Rex) mais bien son grand-oncle Pietro I ; en fait il est
Capitaine Général de Calabre, fonction analogue.
Pietro II Comte de Catanzaro dont nous venons brièvement d'exposer la vie mouvementée,
avait épousé, vers 1265, Giovanna d'Aquino, fille d'Adinolfo III
Comte d'Accera. St Thomas d'Aquin, le plus grand théologien de l'Église, cousin
de Frédéric II, était né en 1226 à Rocca Secca. Il était un
arrière-cousin de Giovanna. Celle-ci fonda à Catanzaro le monastère des
Clarisses. Sainte Claire vécut à Assise de 1193 à 1253. Les premières moniales
de Catanzaro ont donc peut-être connu leur fondatrice. L'histoire nous raconte
que, devenu âgé, alors qu'il sortait de ce monastère, Pietro II fut
assassiné à coups de hache. C'était en 1310.
Les Ruffo de l'époque ont peut-être été mêlés de loin ou de près à un
événement que décrit Le-Goff dans sa vie de « Saint-Louis ».
Louis IX, Roi de France, frère de Charles I, Roi de Sicile, meurt du
typhus face à Tunis lors de la VIIIe et dernière croisade. Pour
ramener ses restes en France, son corps est...bouilli!
La
première étape du rapatriement de ses ossements est Trapani, en Sicile. Une
violente tempête y détruit une grande partie de la flotte française. Nous
sommes en novembre, et en ce temps-là, on ne s'aventure plus en Méditerranée
jusqu'au printemps. Les gros bateaux n'ont guère de quille, et leur gouvernail
se manœuvre très mal. Il est donc impossible de rentrer en France par voie
maritime. Il faut faire route par l'Italie, voyage long et pénible. Il va durer
jusqu'en mai.
Le
jeune Roi Philippe III, son épouse Isabelle et ce qui reste de l'armée des
croisés français escortent trois cercueils : celui de Saint Louis, celui de son
fils Jean-Tristan et celui de son gendre Thibaut, Roi de Navarre. On peut
penser que, lors de la traversée de leurs terres, les Ruffo escortent le
triste cortège, et hébergent en leurs châteaux la famille de leur souverain.
En
plein hiver, un voyage à cheval ou à pied, par les chemins les plus difficiles
que l'on puisse imaginer, est une aventure pénible. La rivière calabraise Crati
est en crue. Effrayée, la monture de la jeune Reine se cabre. Elle se blesse
dans sa chute, alors qu'elle est dans un état de grossesse avancée. Transportée
au château de Cosenza qui n'est pas loin, la Reine y donne le jour à un enfant
qui ne lui survit que de quelques heures. Isabelle, déjà mère du futur Philippe
le Bel (souvenons-nous des Templiers, et de la célèbre bataille des Éperons
d'Or, en Flandre) n'avait que 24 ans. Elle fut inhumée dans la cathédrale de
Cosenza.
La Calabre en Hiver