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Chapitre VI
La première Croisade (1096-1101)
Une
grande entreprise allait mobiliser la Chrétienté : libérer le tombeau du Christ
à Jérusalem. Les Ruffo habitués à combattre les sarrasins qui menacent
leurs côtes, ont toutes les raisons de s'engager dans cette guerre sainte.
Formés à la discipline militaire normande, les jeunes chevaliers de la Famille
auront répondu avec enthousiasme à un appel qui comble leurs ambitions et leur
idéal chrétien.
En
1096, quatre armées occidentales vont se retrouver sous les murs de
Constantinople. L'une d'elle est commandée par
Bohémond
de Tarente. Dix mille chevaliers et vingt mille fantassins d'Italie du Sud
l'accompagnent. Nombre certainement exagéré comme tous les chiffres concernant
cette croisade. Mais disons le tout de suite, beaucoup de croisés moururent
dans cette guerre très dure. Comme il est émouvant de découvrir en Calabre
cette chapelle, aujourd'hui hélas à l'abandon, élevée à Bovalino par un croisé Ruffo,
rescapé de la glorieuse expédition. On dit qu'au XIIe siècle, les jeunes Ruffo se mariaient dans cette chapelle, en souvenir de l'ancêtre croisé. Chapelle de Bovalino >
Bohémond,
le fils aîné de Robert Guiscard, suite aux intrigues de sa belle-mère, n'avait
pas hérité des terres de son père. L'occasion est belle pour lui de se
constituer un fief en Orient. Contrairement aux seigneurs français et
allemands, il n'hésite pas à prêter serment en tant que vassal du Basileus
Alexis Comnène, quitte à s'en dégager plus tard car il était sans scrupules.
Alexis,
attaqué en Asie Mineure, avait fait appel à l'aide occidentale. Mais cette
marée humaine sur ses états l'inquiète. Il se hâta de faire passer tout le
monde sur la rive asiatique du Bosphore.
C'est
une puissante armée. Les chroniqueurs parlent d'un demi-million d'hommes,
militaires et pèlerins compris!
Constantinople, l'actuelle Istanbul
Ces
chiffres sont certainement gonflés. C'est sans trop de peine qu'au bout d'un
mois de siège, les croisés emportent la ville de Nicée.
L'importance
de Nicée est telle que le sultan Soliman réunit toutes ses forces pour la
récupérer.
Il
fond sur l'avant-garde, qui réunissait les Normands de Bohémond (dont les Ruffo)
et ceux de Robert Courte-Heuse. Ils furent encerclés à Dorylée. Pendant des
heures la bataille fait rage. Il faut tenir jusqu'à ce qu'arrive le gros des
forces franques dirigées par Godefroy de Bouillon. Les escadrons normands, déjà
épuisés, constituent l'aile gauche de cette armée et combattent jusqu'à la
limite de leurs forces. Finalement l'armée turque est anéantie, le butin
considérable. La route de l'Asie Mineure est ouverte.
L'armée
s'enfonce alors sur le plateau Anatolien. La chaleur de juillet est accablante.
Les croisés, bardés de fer, ont du mal à sortir vivants de ces trois cents
kilomètres de traversée harassante. Beaucoup de chevaux meurent, des
bœufs
servent de monture, des moutons et des chiens portent les bagages... Ils sont
harcelés par les turcs qui attaquent par surprise. Enfin, après d'innombrables
souffrances, ils peuvent se reposer dans la ville d'Héraclée. Puis l'armée se
divise en deux. Tancrède, neveu de Bohémond, et Baudouin de Boulogne se
dirigent plein sud, sous prétexte de refaire des stocks de vivres. En réalité
les chefs veulent conquérir des terres. La fraternité des premiers mois est détruite.
Tancrède s'empare d'Alexandrette, puis il gagne Antioche où se trouve déjà le
gros des forces croisées. Carte de la première Croisade
Nous
sommes le
Devant
Antioche, l'armée est saisie de stupeur. La ville est entourée d'une muraille
formidable de douze kilomètres de long, renforcée de… trois cent soixante
tours! C'est une place réputée imprenable.
Le
siège commence, très dur pour les assaillants. Toutes les terres environnantes
ayant été mises à sac, la famine apparaît. Bohémond revient chaque fois de ses
raids avec un butin plus léger. Les chrétiens d'Asie Mineure parcourent la
contrée pour y acheter des aliments et les apporter au camp. La peste fait son
apparition.
L'ennemi
fait des sorties meurtrières car il est renseigné par des espions qui infestent
le camp. Bohémond règle la question : il fait mettre à mort quelques turcs
prisonniers, et fait savoir qu'à l'avenir les espions serviraient de nourriture
aux croisés... Le stratagème réussit : les espions disparaissent.
Mais
après huit mois de siège, de sérieux doutes sur l'avenir de l'expédition font
surface. Bohémond annonce astucieusement que, voyant mourir ses gens et ses chevaux,
il désire rentrer en Italie pour y obtenir l'envoi de renforts. Les barons sont
anéantis à l'idée de perdre ainsi un puissant corps d'armée et un chef de
guerre incomparable, à qui l'on devait une bonne part des succès. On lui promet
tout ce qu'il voulut, y compris la prise d'Antioche…!
Mais
le temps passe et une énorme armée turque allait arriver afin de prendre les
croisés à revers! Les barons, atterrés, donnent tout pouvoir à Bohémond.
Celui-ci ruse et obtient qu'un habitant d'Antioche lui livre la tour dont il a
la garde. La nuit du 2 juin, un groupe d'hommes se rassemble au pied de la
tour. Bohémond s'élance le premier à l'échelle de corde garnie de crochets. Ils
ouvrent la porte, et l'armée investit la ville brusquement réveillée... Dans
Antioche, les
sarrasins
sont massacrés.
Mais
déjà le lendemain, l'armée turque entoure la ville. Les croisés sont eux-mêmes
assiégés, comme pris dans une souricière! Dans la ville encombrée de morts,
surpeuplée, harcelée par les forces ennemies, s'installent l'épouvante et la
famine. Un signe providentiel, la découverte de la Sainte Lance, sous l'autel
de l'église principale, rend le courage et l'on prépare une sortie par trois
jours de prière et de jeûne.
Des
milliers de flèches ne peuvent enrayer leur progression. A l'écart, prêt à
intervenir, Bohémond tient en réserve ses normands de Sicile. Puis, avec sa
fougue coutumière, ce commando de chevaliers blindés enveloppe les archers
turcs par le flanc. Son audace affole des adversaires déjà impressionnés par la
détermination d'une armée considérée comme épuisée. Alors les sarrasins commencent
à lâcher prise. Pour tenter d'arrêter l'offensive du gros de l'armée franque,
ils mettent le feu aux herbes. Godefroy de Bouillon regroupe ses hommes et les
lance à l'avant. Plusieurs chefs arabes prennent soudain la fuite, suivis par
leurs troupes, et toute l'immense armée sarrasine cède d'un seul coup...
C'était le
En
étudiant l'histoire de la première Croisade, on constate que l'on peut situer
ici un fait d'armes glorieux rapporté par la tradition familiale. « Un Ruffo en franchissant à cheval une palissade serait entré le premier dans le camp
ennemi » (Montgrand, p 227). (Ce fait serait l'explication des armes
que prit Poncet Ruffo, passé en Provence, au XIVe siècle).
Antioche avait été assiégée pendant sept mois par l'armée des croisés. Ceux-ci
avaient dressé face aux fortifications de la ville une solide palissade faite
de pieux fichés en terre. La ville d'Antioche prise, les croisés étaient
eux-mêmes assiégés par les Turcs de Kerboga. Il faut culbuter l'ennemi ou
mourir de faim. Mais voici que ces mêmes palissades deviennent un retranchement
pour l'armée ennemie...
< Armoiries de Poncet Ruffo de Lamanon
En
chef habile, Bohémond organise l'attaque, réservant à ses chevaliers normands
la charge de percer le front. Un de ces groupes d'hommes blindés peut avoir été
commandé par un Ruffo qui mène la charge en subissant le choc frontal de
plein fouet. Le fait de devoir sauter une palissade rend la manœuvre très
difficile car il faut maintenir la cohésion entre ces chevaliers disposés en
fer de lance. Il leur faut du courage et une grande force physique : un
cavalier, puis deux, puis trois, formant tous ensemble un éperon dévastateur.
Nul
doute que les Ruffo, à leur retour en Calabre, après quatre années
d'absence, enthousiasmèrent toute la jeune génération par le récit de leurs
souvenirs et de leurs exploits. Il n'est pas étonnant que ce fait d'armes soit
devenu célèbre dans la Famille. Un Ruffo rescapé de la grande aventure construisit à Bovalino une chapelle du souvenir.
Au XIIe siècle les jeunes Ruffo s’y
mariaient en souvenir de l’ancêtre Croisé.
< Ville de Jérusalem, peinte au XIXe siècle
Le
Avec
une centaine de chevaliers, il délivre Bethléem où les chrétiens grecs et syriaques
les acclament en pleurant. Le chroniqueur de la croisade raconte qu'« en
découvrant les dômes et les tours de Jérusalem, les croisés oublièrent leurs
disputes et ne purent retenir leurs larmes ». Le siège est difficile.
Les troupes croisées sont réduites : il n'y a plus que douze cents chevaliers.
En souvenir du miracle de Jéricho, les croisés, Godefroy en tête, font le tour
de la ville pieds nus en procession. Le
Mais
hélas, ce sont aussi de pauvres hommes. La conquête de la ville est marquée par
un carnage horrible dont les vainqueurs finissent par avoir honte. Cet acte
inqualifiable fera obstacle à toute réconciliation entre chrétiens et
musulmans. Il faut noter que Tancrède fit exception dans cette conduite
scandaleuse. Il accorda sa protection à bon nombre de malheureux, hélas sans
succès.
Tancrède
est très différent de son oncle Bohémond. Les textes du temps le montrent d'une
grande noblesse de caractère, loyal, fidèle à la parole donnée, et d'un
prodigieux courage physique. C'est un croisé accordé au tempérament de Godefroy
de Bouillon. On le citait comme modèle du croisé. Les chevaliers de la Famille,
ses compagnons, ont pu donner le meilleur d'eux-mêmes à ses côtés. Quant aux
autres croisades, aucune n'égala la première pour la ferveur, la bravoure et
les coups d'audace.
Malgré
les fautes de certains de ses chefs, un idéal chrétien de générosité émana de
la première Croisade et imprégna dès lors toute la chevalerie du Moyen Age.