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Chapitre IV
Giovanni Fulconio Rufo serait ce militaire
byzantin à qui l’Empereur a confié la reconquête de la Calabre, anciennement
grecque. La tradition familiale affirme qu’il obtint cette faveur parce que sa
fille Bérénice Rufa a épousé soir l’Empereur Bsile II, soir l’Empereur
Tzimiscès.
Examinons
cet événement prestigieux en le comparant à un autre mariage d’un empereur
byzantin avec une Rufa qui eut lieu au XII siècle
Nous
allons maintenant analyser la tradition familiale lorsqu’elle affirme
que :
Au X siècle
Bérénice Rufa Giovanni Fulconio la mission |
Au XII siècle
Yola ou Giovanna Rufa
|
En
ce qui concerne Yola ou Giovanna, connue pour sa grande beauté,
elle épouse un membre de la grande famille des Comnènes régnant à Byzance de
1057 à 1185. Il s'agirait d'Andronic Giovanni et grâce à ce mariage, elle
obtient pour son père, Giovanni
Fulconio, le gouvernement de la province de Macédoine. Certains auteurs disent
qu'Andronic Giovanni est empereur, d'autres qu'il est fils d'empereur.
D'après
la liste des empereurs de la famille des Comnènes: Isaac, Giovanni-Manuel,
Alexis I, Alexis II, Andronic, Alexis; les prénoms Andronic et
Giovanni sont bien utilisés dans la dynastie mais aucun Basileus ne les a
portés accolés. Yola a donc plutôt épousé le fils d'un de ces empereurs.
Après
l'an mille, aucune trace des Rufus de Byzance n'a pu être repérée,
excepté le mariage de Yola au XIIe siècle. Le désastre de la prise de
Constantinople par les Ottomans en 1453 a tout effacé. Les Grecs n'ont pas de
mémoire de leur passé moyenâgeux. Jusqu'à présent personne n'est arrivé à
déchiffrer les archives Ottomanes de Thessalonique entre 1238 et 1912. Il y a
un vide de 700 ans dans la mémoire collective.
Les Roufos Kanakaris vivant actuellement en Grèce sont une branche de la
Famille venue d'Italie au XVe siècle.
En
comparant Yola et Bérénice, nous remarquons que leurs pères
portent le même prénom: Giovanni Fulconio. Grâce à ces mariages chacun
d'eux obtient une fonction très importante. L'un en Calabre, l'autre en
Macédoine.
Bérénice
Rufa aurait-elle pu être l'épouse de
Basile II ? Cet empereur, tel que nous le décrit Bailly à la suite de
nombreux auteurs, avait treize ans à l'avènement de Jean Tzimiscès qui régna en
tant que tuteur et coempereur. Basile est un chef d'armées et un souverain
héroïque, certainement le plus grand empereur de la dynastie macédonienne.
Estimant que son frère pouvait assurer la continuité de la race et qu'une femme
l'eût encombré, il ne s'est jamais marié! Econome, très simple dans sa mise,
jamais il ne se soucia d'avoir une cour. Il se contentait d'un état-major et
guerroya pendant cinquante ans. II faut donc écarter l'idée de le voir comme
époux de Bérénice!
Rappelons que pendant le règne de Jean
Tzimiscès et celui de Basile II, la Calabre redevient Byzantine, c’est
historique. En décembre 969, Tzimiscès monte sur le trône
et
il
faut une impératrice... On peut penser que Tzimiscès épouse sans retard la
jeune Bérénice.
Quel
est le jugement des historiens sur Jean Tzimiscès? S'il obtient le trône par un
crime, c'est dans les mœurs du temps. Environ septante empereurs sur cent
trente eurent recours à la même violence. Mais en chrétien il expia ses crimes
par la pénitence, en effaça presque le souvenir par ses vertus et ses
victoires. Il devint un des meilleurs monarques que l'empire ait connu. Jean
Tzimiscès, l'assassin et le successeur de son oncle, ne lui était inférieur ni en
intelligence, ni en bravoure. A peine couronné, il lui faut faire face à une menace
russe. L'expédition s'achève par la déroute de l'ennemi.
Nous savons déjà que
Basile II est resté célibataire, et avons découvert que
Tzimiscès aurait eu une épouse du nom de Théodora... C'est indéniable!...
historique! (Larousse histoire du monde, n°41, page 257). Il ne s’agit pas donc
pas d'un mariage de Bérénice Rufa avec un empereur.
Que
penser de tout ceci? Des cas si semblables auraient-ils prêté à confusion?
L'histoire de Bérénice est-elle une belle légende? L'amalgame provient
peut-être de souvenirs déformés au fil du temps par la tradition orale. Il faut
se rendre à l’évidence.
Dans
ce cas, la désignation de Giovanni Fulconio I comme conquérant de
la Calabre repose sur les seuls mérites personnels d'un homme probablement hors
du commun. Nous pouvons supposer que la branche des Rufus restée à
Byzance était l'aînée, et que le rameau de Giovanni Fulconio est parti
avec des moyens suffisants pour la Calabre afin d'y constituer un fief et y
faire souche. Il fait partie d'une famille sénatoriale et militaire importante
depuis la fondation de Constantinople. Giovanni Fulconio, nous l’avons
vu, arrive en Calabre vers 970 muni des pleins pouvoirs militaires et civils.
II n'est pas novice dans l'art de la guerre et il est vraisemblablement un
compagnon d'armes de Tzimiscès. Sa nomination, si elle est le fait d'une faveur
de l'empereur, est méritée puisqu'il va réussir dans son entreprise.
Remarquons
que le prénom de Fulco sera toujours
porté dans la famille
jusqu’au
XXIe siècle.
Imaginons
un peu à son sujet. Le printemps a rendu la Méditerranée navigable.
Giovanni
Fulconio s'embarque avec sa famille sur un des ces
solides navires byzantins, à la voile carrée de toile écrue, à la coque peinte
de couleurs vives, ouverte sur le côté par une large porte au niveau des quais.
La famille est à l'abri dans le château arrière tandis que les soldats et les
serviteurs qui les accompagnent sont installés sur le pont. Une partie de la
cale est réservée aux chevaux suspendus par des sangles. Les soutes abritent
les coffres en bois richement décorés contenant les effets personnels de la
famille.
Ils
sont plusieurs navires à longer les côtes grecques pour ce voyage long et
périlleux. Enfin, voici Bari dans les Pouilles, seule ville encore en
possession des Grecs en Italie à ce moment. Ils y auront été accueillis avec tout
le respect que l'on peut imaginer. On mettra à leur disposition une belle
demeure et la reconquête va s'organiser. II y a bien une occupation arabe en
Calabre, mais localisée et sans lien d'une ville à l'autre.
Pour
reconquérir le pays, Giovanni Fulconio et ses fils auront recours à la
seule méthode possible dans un pays montagneux, peu accessible et aux
communications intérieures presqu'inexistantes. Du reste c'est ainsi que
faisait Byzance, et plus tard les Normands en Sicile. Ils durent choisir une zone
portuaire, y débarquer, en chasser les arabes, et construire une première
forteresse très bien située, probablement Catanzaro. Puis continuer ainsi pour
les cités les plus importantes, l'arrière-pays tombant de lui-même. La
population locale détestait les envahisseurs musulmans et accueillent
favorablement les Byzantins.
Un
grand danger existait cependant pour eux En 972, Jean Tzimiscès a négocié le
mariage de la jeune Princesse Théophano avec le fils de l'empereur d'Allemagne
Othon Ier le Grand. Celui-ci par son mariage avec Sainte Adélaïde, femme
de Lothaire, dernier roi Lombard, était devenu souverain de ces régions, avec
Rome pour seconde capitale. Théophano montera sur ce double trône auprès de son
mari Othon II. Très cultivée, elle eut une grande influence sur lui et sur
la cour. Sa dot avait été constituée par les provinces Byzantines du sud de
l'Italie, Pouilles et Calabre.
En
982, Othon II envahit la Calabre à la tête d'une armée allemande, afin
d'en chasser les arabes. L'émir Abu-I-Kasim qui les commandait est tué près de
Stilo. C'est la débandade, les sarrasins fuient. Alors on fait la fête dans le
camp allemand; on se débarrasse de son armure, on se saoule. Les arabes
regroupés dans les montagnes voisines voulant venger la mort de leur chef,
fondent alors sur leurs ennemis désarmés. C'est le massacre. Que sont devenus
les Ruffo pendant cette guerre? Ils
ont débarqué en Calabre une douzaine d’années plus tôt et en occupent le nord.
Cotrone, Catanzaro. Nous pouvons supposer que, prudents, ils s’y enferment,
laissant passer l’armée allemande qui est vaincue plus au sud à Stilo.
L’empereur Othon II meurt peu après.
Pour
les Ruffo, la mort de l'empereur est une chance. Ils peuvent maintenant
s'atteler à la reconquête du pays sans avoir à craindre ce redoutable
concurrent.
Nous
pouvons penser que par la suite, Fulconio et ses fils, auréolés du
prestige que leur donne la conquête sur les sarrasins, s’entendent avec
l'impératrice Théophano et la cour de Rome. Ils l'ont connue petite fille à
Constantinople. Détail révélateur, l'impératrice s'était occupée avec beaucoup
de soin de l'éducation de son fils Othon III. Celui-ci parlait le grec, le
latin et l'allemand. Son précepteur, est un byzantin du nom de Jean Philogatos
de Calabre. Devenue veuve et régente, l'impératrice Théophano réussit à
maintenir dans Rome l'autorité impériale pour son fils Othon III âgé de 3
ans. Celui-ci meurt à 22 ans en 1002, laissant son empire désorganisé. Autre
chance pour les Byzantins qui n'ont plus à redouter les visées impériales sur
l'Italie du Sud.
Parmi
les premiers points conquis par les Ruffo, il est logique de citer
Catanzaro dont l'importance stratégique est remarquable (voir la carte); mais
aussi Crotone, Squillace et Reggio.
Une
forte influence de la Grèce Antique à Crotone n'a pas été effacée par
l'occupation arabe. Les échanges avec Byzance tant au point de vue culturel que
commercial sortent la Calabre de son isolement. Les Ruffo s'entourent
dans leurs châteaux-forts de tout le raffinement qu'ils ont connu à Byzance :
tentures aux soieries éclatantes, chatoyantes mosaïques, etc. Des architectes
vont également construire de petites églises à coupoles, en style byzantin
comme à Stilo. Le grec est la langue officielle. Bientôt les conquérants
normands seront éblouis par le reflet de la civilisation byzantine qu'ils
découvrent en Pouilles et en Calabre aussi s'efforceront-ils d'assimiler cette
culture et celle qu'apportait aussi la civilisation arabe, surtout en Sicile.
Les
sommets de l'Aspromonte, couverts de sapins de belle taille, permettaient de
construire des navires. Les Calabrais, agiles, courageux et sobres, faisaient
d'excellents marins. Sans bateau, on ne pouvait rien faire à cette époque, dans
ce pays d'une grande beauté mais montagneux et sévère, aux vastes landes, aux
cours d'eau irréguliers et aux épaisses forêts. Les Ruffo devaient avoir
des élevages de chevaux importants pour la guerre, le charroi et les travaux
agricoles.
Dans
l'histoire de l'Italie du Sud, on parle des marins calabrais et de la flotte
calabraise
avant qu'elle ne devienne normande, et l'on sait que Roger de Hauteville lors
de la conquête de la Sicile revint en Calabre afin d'y reconstituer sa
cavalerie décimée.
Les
jeunes Ruffo reçoivent au foyer paternel une solide instruction, donnée
en grec et en latin par des précepteurs ou dans une école abbatiale. Dès l'âge
de quatorze ans, les filles se préparent à une alliance avantageuse pour la
Famille. Tandis que les garçons se consacrent durant sept ans à leur éducation
militaire en tant qu'écuyers auprès de seigneurs amis ou parents de la Famille.
Bailly
explique quel est le rôle d'un gouverneur ou « stratège » dans l'administration
impériale. Le gouverneur de la province ou « thème » exerçait
tous les pouvoirs d'un vice-roi. Dans l'étendue de son gouvernement, il
représentait l'empereur qui le choisissait et le nommait lui-même et recevait
directement tous ses rapports. Souverain par délégation, il se trouvait placé à
la tête d'une organisation provinciale qui reproduisait exactement
l'organisation centrale.
Le
stratège était un militaire, et il assurait la direction de tous les services
civils, avec le concours d'un nombre considérable de fonctionnaires.
Seul
parmi eux, le protonotaire ou « capétan » chargé de la Justice et des
Finances, rendait compte à l'empereur sans passer par le « stratège »
auquel il était pourtant subordonné. Il y avait là pour le gouvernement central
un moyen de contrôle et la possibilité de parer aux dangers qu'aurait pu faire
naître l'ambition d'un gouverneur grisé par sa puissance.
(« Byzance », (p. 278) Bailly)
Les
Pouilles, la Calabre et Otrante formaient la province de Longobardie dont, en
1041, le Capétan portait le nom de Michel Doukeianos.
Il
ressort de cette mise au point intéressante que Giovanni Fulconio, le
conquérant de la Calabre, et ses descendants étaient « stratèges »
c'est-à-dire gouverneur ou vice-roi représentant le Basileus et non « capétans »
qui eux étaient de hauts fonctionnaires relevant de l'administration centrale
de Byzance.